Des mécanismes neuronaux à la pensée : le cerveau

Vesalius Fabrico frontispice.
Source : Wikipédia
Les connaissances que l'on a des mécanismes neuronaux proviennent des différentes approches : anatomie, physiologie, physique et neurobiochimie. Elles sont complémentaires et confirment dans un registre différent, les données apportées par l'une ou l'autre des approches. Les donnés anatomiques sont les plus anciennement connues, la description des structures du cerveau, notamment dans le " De Fabrica Humanis Corpora " d'André Vésale (1514-1564), étant devenue possible dès lors que l'Eglise autorisa les autopsies. La physiologie permit d'accomplir un premier bond en avant, en permettant l'identification et la cartographie des aires fonctionnelles du cerveau.

Les phénomènes physiques, caractérisés par l'apparition de potentiels électriques, liés aux mécanismes de polarisation et dépolarisation cellulaires, sont essentiels à la connaissance de la circuiterie neuronale. L'étude de la création et de la propagation de ces différences de potentiel le long des axones a permis de définir les voies de la sensibilité et de la motricité, les phénomènes de réflexes d'axone, les interconnexions médullaires et les voies ascendantes médullaires, jusqu'aux structures thalamiques et corticales. Les développements plus récents, de l'imagerie fonctionnelle du cerveau, permettent une cartographie dynamique des zones activées (" firing "). 
Ces méthodes physiques sont également confirmées par les techniques histochimiques, autoradiographiques ou immunochimiques. Les progrès les plus significatifs sont cependant à mettre à l'actif de la neurobiochimie cérébrale avec la mise en œuvre des mécanismes complexes associant des protéines porteuses, des neurotransmetteurs, des récepteurs, des modifications des perméabilités ioniques membranaires, des activations métaboliques intra cellulaires ou la synthèse de proto oncogènes, susceptibles de modifier durablement la structure de la cellule nerveuse : la neuroplasticité. La plasticité est le concept fédérateur des neurosciences et Catherine Malabou, se posant la question " Que faire de notre cerveau ? " martèle : " les Hommes font leur propre cerveau, mais ils ne savent pas qu'ils le font ". Avec elle, on peut distinguer trois formes de plasticité. La plasticité de développement va concerner la formation des connexions neuronales les neurones n'étant pas des structures isolées mais organisées en assemblées de neurones. Pesant 300 grammes à la naissance, le cerveau va voir son poids multiplié par 5 à l'âge adulte. Un cerveau c'est cent milliards de neurones, 10.000 synapses par neurone, soit 10 15 synapses constituant autant de connexions possibles. A mesure que de nouvelles connexions se développent, d'autres devenues inutiles disparaissent par le mécanisme d'apoptose. Jean Pierre Changeux estime que l'hécatombe neuronale fait partie du développement normal. Elle en constitue une des étapes critiques. Le cerveau est donc modelé en permanence par son activité, par les interactions avec l'environnement grâce aux perceptions sensorielles et façonné par l'éducation. Parlant de la plasticité neuronale, Jean Pierre Ameissen évoque " la sculpture du vivant ". Les remaniements permanents de la structure neuronale s'accompagnent d'une plasticité de modulation, modifiant les interconnexions synaptiques. Les circuits neuronaux sont capables de s'auto organiser et l'efficacité des synapses est fonction du flux d'informations qui les traversent. Un cerveau cela s'entretient en le faisant travailler. Il existe enfin une plasticité de réparation permettant au cerveau de se régénérer, s'il est lésé ou de s'adapter à l'environnement du sujet et à son activité en allant jusqu'à la production  ou le renouvellement de populations de neurones. La conception ancienne du cerveau constitué d'un contingent limité de neurones ne pouvant que dégénérer et disparaître avec l'âge est totalement inexacte. Tout aussi erronées et obsolètes  sont les conceptions du cerveau " central téléphonique " comme l'imaginait Bergson ou de cerveau " ordinateur " car il  peut y avoir analogie mais pas identité. La plasticité du cerveau est l'image réelle du monde. La plasticité du temps est inscrite dans le cerveau. L'afflux permanent d'informations sensorielles, le traitement continu des images, la constitution sans cesse renouvelée de circuits, de connections, font que le cerveau reconstruit le sentiment de soi instant après instant et qu'une personnalité se construit et évolue à tout moment et toute la vie durant. Avec ses milliards de neurones, de synapses, avec la sophistication des circuits, des traitements de l'image, des réactions chimiques qui sous tendent ces phénomènes, le cerveau est l'objet matériel le plus complexe de tout l'univers. De ce que nous avons vu précédemment de l'espace et du temps, il ressort que la matière se définit en terme d'échange d'énergie. L'esprit constitue pour le cerveau ce que l'énergie est à la matière. L'esprit est un processus d'un type particulier qui apparaît comme le résultat de l'organisation et du fonctionnement de la matière qui constitue le cerveau. L'étrange mariage entre ce qui est clairement matériel - le cerveau, le corps - et ce qui apparemment était dépourvu de substance - l'esprit - a alimenté pendant des siècles toutes les supputations dualistes. Les connaissances actuelles en facilitent peut-être la compréhension.

Les mécanismes impliqués dans le fonctionnement des cellules nerveuses sont nombreux. Cependant ces mécanismes ne sont pas totalement spécifiques d'un type d'activité neuronale. Les neuromédiateurs et les neurotransmetteurs notamment sont ubiquitaires et interviennent aussi bien au niveau des fibres motrices ou sensitives, voire même au niveau de la jonction neuromusculaire. Une des plus petites molécules, jouant un rôle essentiel, le monoxyde d'azote (NO), intervient aussi bien dans la transmission de la douleur que dans le processus de mémoire. Certes chaque récepteur aura sa spécificité, quelquefois au prix d'infimes modifications de  conformation, et le nombre de types de récepteurs connus est considérable et s'accroît chaque jour. Néanmoins, il existe un mécanisme général de fonctionnement, qui se décline sur différents modes selon la fonction cérébrale considérée. Par comparaison, nous pourrions dire qu'à partir d'un alphabet déjà complexe, mais limité, le fonctionnement du cerveau peut s'écrire en une infinité de mots, de phrases et de textes, selon la complexité des mécanismes et des circuits activés, inhibés ou modulés.
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Corne dorsale de la moelle.
Schéma : Philippe Scherpereel

Il existe une neuromodularité qui s'exerce en permanence, permettant l'ouverture ou la fermeture temporaire de connexions, une sorte de portillon au niveau de chaque jonction neuronale et non pas seulement de la corne postérieure de la moelle comme l'avait décrit Wall et Melzack. Il existe une infinité de combinaisons possibles, éphémères, propres à chaque situation ou susceptibles de se conserver par les mécanismes de mémoire ou de neuroplasticité, pour certaines peut être génétiquement préprogrammées. Certaines liaisons corticales longue distance, décrites par Dehaene et Changeux, reliant les différents territoires corticaux concernés par une fonction, pourraient entrer dans ce cadre.
Une des situations les mieux connues actuellement est représentée par la neurobiochimie de la douleur que nous allons essayer de résumer le plus simplement possible avant d'extrapoler ces données à d'éventuels autres mécanismes neuropsychiques. Dans la douleur, comme dans tous les autres mécanismes conscients, tout part de la perception. La perception de la douleur, la nociception, est le résultat d'un certain nombre de types d'agressions : mécaniques (piqûre, coupure), thermiques (brûlure), caustiques, électriques… Au site de l'agression (peau, viscères…) les arborescences des fibres nerveuses sensitives vont être activées par des substances analogues aux médiateurs de l'inflammation : histamine, sérotonine, ions H+… qui sont amenées par les cellules sanguines par extravasation capillaire, tandis que d'autres substances, comme les prostaglandines, sensibilisent les terminaisons nerveuses, en abaissant le seuil de déclenchement de l'influx. L'influx nociceptif, véhiculé par les fibres sensitives faiblement (  ) ou non (C) myélinisées, va rejoindre la corne postérieure de la moelle par les nerfs sensitifs. Au niveau de la corne postérieure de la moelle, l'axone périphérique va faire relais avec différents neurones : un neurone retournant vers la périphérie, constituant un réflexe d'axone, contribuant à étendre de proche en proche la zone douloureuse autour du site d'agression. Des neurones intermédiaires médullaires, inhibent la transmission vers les centres supérieurs de l'influx nociceptif. Des neurones ascendants, spinothalamiques véhiculent l'influx nociceptif vers le thalamus, et par l'intermédiaire des projections corticales, jusqu'au cortex.

Au niveau de la corne postérieure de la moelle, la transmission de l'influx nociceptif de l'extrémité pré synaptique du neurone périphérique au versant post synaptique du neurone spinothalamique ascendant va se faire par la libération de neuromédiateurs déversés dans la fente synaptique, puis venant se fixer sur des récepteurs situés au niveau de la membrane du neurone post synaptique. Chaque médiateur a son récepteur spécifique, le plus important étant le glutamate venant se fixer sur son récepteur (N.M.D.A.).

La fixation du glutamate sur son récepteur, modifie la perméabilité du canal membranaire auquel est adjoint le récepteur permettant l'entrée dans le neurone post synaptique d'ions calcium (Ca++) et sodium (Na++) dont l'irruption intra cellulaire va modifier la polarisation membranaire, créant la transmission de l'influx électrique.  Les transformations intracellulaires liées à la fixation d'un médiateur sur son récepteur sont de nature ionique (ionotrope) ou métabolique (métabotrope) impliquant l'activation de systèmes enzymatiques intra cellulaires. Ce mécanisme est un mécanisme général touchant tous les processus cellulaires et concernant aussi bien les transmissions excitatrices, qu'inhibitrices. Ici, comme dans tous les processus biochimiques, on retrouve cette harmonie subtile entre des mécanismes généraux ubiquitaires, en nombre limité, et de très nombreux mécanismes spécifiques propres à une fonction particulière. Dès le niveau médullaire, mais plus encore au niveau du thalamus et de l'hypothalamus, des substances secrétées par le système nerveux (endorphines, enképhalines…), appelées morphiniques ou opioïdes endogènes, et possédant leurs récepteurs spécifiques (            ) vont jouer un rôle modulateur ou inhibiteur de la transmission de l'influx nociceptif. Il est remarquable de constater que le système nerveux des êtres vivants supérieurs est capable de synthétiser des protéines complexes de haut poids moléculaire, spécifiques des espèces, de plusieurs centaines d'acides aminés (proopiomélanocortine, preproenképhaline, pré-prodynorphine…). Le système nerveux possède également tout l'équipement enzymatique nécessaire pour cliver ces molécules, libérant différents fragments  constituant les opioïdes endogènes (  endorphine, dynorphine, enképhaline…) et les facteurs hormonaux d'origine hypothalamique (A.C.T.H., M.S.H…). En se fixant sur leurs récepteurs spécifiques, les opioïdes endogènes induisent les mêmes processus intracellulaires que ceux produits par la fixation de la morphine et des morphiniques de synthèse. Une fois déclenchée leur action intra cellulaire, les opioïdes endogènes vont être dégradés par d'autres enzymes (peptidases, enképhalinases…) qui vont les inactiver en les scindant en leurs acides aminés qui pourront être recyclés dans de nouvelles synthèses. Rien ne se perd, rien ne se crée.

Au niveau médullaire, la fixation du glutamate  et des acides aminés excitateurs sur leur récepteurs spécifiques va déclencher un phénomène dit de " wind-up " pérennisant et amplifiant le signal douleur par l'activation énergétique du neurone post synaptique des faisceaux spino ascendants. Au niveau hypothalamique, un processus inverse peut s'opérer et par l'action de différents médiateurs (G.A.B.A. au niveau thalamique, sérotonine et noradrénaline au niveau spinal), les endorphines, secrétées au niveau de l'hypothalamus, peuvent produire des influx inhibiteurs descendants, constituant une seconde barrière à la transmission vers les centres supérieurs de l'influx nociceptif. Le phénomène de " wind-up " a une autre conséquence qui est la synthèse de proto-oncogènes (C-jun, C-fos…) à l'origine de modifications des structures nerveuses correspondant au processus de neuroplasticité.

Cette brève description, extrêmement réductrice des mécanismes biochimiques de la douleur est loin de refléter la complexité des phénomènes neurobiochimiques connus, et à fortiori de ceux restant à découvrir. Une très petite molécule, le monoxyde d'azote (NO), joue un rôle important au niveau des synapses médullaires et dans les inter relations avec les cellules gliales qui jouxtent les neurones spinaux. Cette même molécule est impliquée dans le processus de mémoire et l'on ne peut qu'être tenté d'établir un parallèle entre le passage douleur aiguë - douleur chronique et la mémoire, la douleur chronique étant assimilée à une sorte de " mémoire " de la douleur aiguë.

Les mécanismes de la mémoire sont sans doute encore plus complexes, d'autant qu'il existe sans doute des mécanismes différents de la mémoire à court terme, ou mémoire de travail, et de la mémoire à long terme. Ces mécanismes peuvent être atteints de façon dissociée dans certains processus pathologiques comme le syndrome de Korsakoff qui associe une amnésie des faits récents avec conservation de la mémoire des faits anciens, comme dans les formes débutantes d'Alzheimer.

La conscience primaire est la conséquence de phénomènes neuronaux complexes, intégrant de multiples réentrées thalamo-corticales, impliquant aussi bien les aires motrices que sensitives ou sensorielles. Celles-ci sont donc bien indispensables à l'intégration des perceptions qui permettront la conceptualisation. La conscience n'apparaît que lorsque l'objet, l'organisme et leur inter relation peuvent être re-représentés. La continuité de la conscience est le résultat de l'abondant flux de récits non - verbaux de la conscience - noyau. La conscience implique également la mémoire qui permet de comparer une perception présente a du déjà vu, déjà entendu, déjà ressenti. Cette comparaison pourra se faire également entre deux concepts, l'un récemment apparu, l'autre déjà enregistré. Par comparaison avec ce que nous avons décrit pour la douleur, l'extrême complexité, l'extrême plasticité des interconnexions neuronales permet, à partir de mécanismes physiques et biochimiques, en nombre relativement restreint, et grâce à leur fonction ubiquitaire, de décliner des phénomènes complexes, spécifiques d'un individu, adaptés aux circonstances extérieures. Une zone cérébrale n'a pas de fonction exclusive. Il n'y a pas de centre de la conscience mais de multiples interactions entre de nombreuses zones du cerveau. Il y a plusieurs structures cérébrales capables de recevoir des signaux convergents, provenant de sources variées, et apparemment capables de réaliser des " cartes de second ordre ". On parle d'aires associatives, possédant de multiples fonctions, permettant adaptabilité et flexibilité. Des réseaux se font et se défont, en fonction de la tâche cognitive dans laquelle le sujet est impliqué. Une même région peut contribuer à des tâches différentes correspondant à une organisation à la fois locale et délocalisée. Tous les cerveaux ne sont pas aussi performants et la qualité première d'une assemblée de neurones est sa capacité d'adaptabilité et sa multifonctionnalité.

Les synapses favorisent ces possibilités d'interconnexions multiples grâce à la discontinuité qu'elles introduisent dans la transmission des influx permettant les inter connexions, les inhibitions, les potentialisations et les modulations grâce aux innombrables médiateurs et récepteurs qui agissent à son niveau.

Les myriades de connexions, leur modulation, leur plasticité rendent statistiquement totalement improbable la réapparition d'une même connexion individuelle, mais des organisations régionales, basées sur des stimulations, des inhibitions, des modulations entre neurones, permettent de répéter des comportements, des états dans une infinité de situations. La moindre situation de la vie quotidienne nécessite une fusion harmonieuse de processus d'une stupéfiante complexité, mettant en œuvre des interconnections multiples, par signalisation croisée, entre de nombreuses structures cérébrales. C'est presque le cerveau tout entier qui se trouve engagé dans l'état conscient.  Il n'y a pas lieu de penser que la conscience d'ordre supérieur, faisant intervenir des interrelations de concepts, ne mette pas en jeu de semblables mécanismes, en plus complexes.

La continuité du neuronal au mental implique, selon toute vraisemblance, une identité des connexions neuronales. Il existe comme l'écrit Joseph Ledoux, une neurobiologie de la personnalité et, par voie de conséquence, une personnalité neuronale. " Le cerveau forme des configurations neuronales dans ses circuits de cellules nerveuses et parvient à transformer ces configurations neuronales en ces configurations mentales explicites qui constituent le niveau le plus élevé du phénomène biologique ". Nous devons nous poser la question : comment une personnalité cohérente - ensemble assez stable de pensées, d'émotions et de motivations - peut-elle émerger chez un individu ? Catherine Malabou évoque un " Soi-primordial ", un " proto-Soi " précurseur non-conscient des niveaux de Soi, " précédent biologique pré-conscient des niveaux de Soi " à partir duquel peut se développer le sentiment de Soi. Les synapses étant des structures fonctionnelles, il apparaît à la fois impossible de distinguer le neuronal du mental, qui utilise ces mêmes structures, et de considérer que les synapses puissent être le support de la personnalité. Pour permettre la formation de la personnalité à partir de la matrice neuronale, il faut imaginer un " convertisseur " cérébral - mental ou une évolution de type darwinienne conduisant dans le cerveau humain à l'émergence de l'intelligence, de la conscience et de la psychologie. Pour Damasio, l'architecture neuronale sous-tend la conscience. Il existe une anatomie de la conscience comme de la mémoire ou du langage. Conscience et attention de faible niveau peuvent être séparées. Conscience et émotion ne sont pas séparables et ne peuvent pas être dissociées du corps. La conscience n'est pas monolithique : la continuité du neuronal au mental s'opère en plusieurs étapes. Dans " Le sentiment même de soi ", il écrit : " Le système inconscient de signaux neuronaux d'un organisme individuel engendre le proto-Soi, lequel permet le développement d'un Soi-central et d'une conscience - noyau, lesquels à leur tour permettent la formation d'un Soi-autobiographique, puis de la conscience-étendue. En bout de chaîne, la conscience - étendue conduit à la conscience morale ". Plus précisément, la conscience - noyau, est le sentiment de soi à un moment donné, à un endroit précis : ici et maintenant. C'est un phénomène biologique simple auquel correspond un niveau unique d'organisation et qui est stable tout au long de la vie. A l'inverse, la conscience étendue est un phénomène complexe comportant plusieurs niveaux et degrés et évoluant au cours de l'existence. Ce sentiment élaboré de soi implique une identité de personne, un temps historique individuel intégrant une connaissance du passé vécu et une anticipation de l'avenir ainsi qu'une compréhension du monde environnant. La conscience étendue, le Soi autobiographique, n'est pas une variété différente de conscience mais elle est construite sur les fondements de la conscience - noyau, le Soi central. En cas de lésion neurologique des structures cérébrales de la conscience - noyau, c'est toute la conscience qui s'écroule. La conscience n'est pas la simple sommation des fonctions cognitives telles que le langage, l'attention, la mémoire ou la raison qui sont nécessaires mais doivent être non seulement intégrées et unifiées, mais aussi façonnées par la personnalité. Ce " façonnement de soi "  pour reprendre le terme de Foucault est une réponse possible au problème de la liberté de l'individu. La construction de la personnalité est le résultat de plusieurs configurations possibles. Elle constitue un équilibre entre le maintien d'une constance et une évolutivité liée à l'exposition à l'environnement et aux évènements. Pour y parvenir Jean Pierre Changeux évoque dans " l'Homme neuronal " une " faculté d'auto organisation qui constitue un des traits les plus saillants de la machinerie cérébrale humaine dont le produit suprême est la pensée ". Dans " Matière à pensée ", il écrit : " Je pense qu'un jour il sera possible de modéliser dans le détail certaines étapes du déroulement de la pensée ". Marc Jeannerod dans " La nature de l'esprit ", écrit : " Une structure capable d'activité auto engendrée peut imposer sa propre organisation ". Ceci est une constatation. Reste à trouver l'explication.

Il faut aussi faire la part entre ce qui rattache l'individu originellement à lui même - prédisposition génétique - et la manière dont s'est construite la personnalité en fonction de l'exposition à l'environnement, social, culturel, aux évènements vécus. La conscience de soi est la capacité de reconnaître la différence entre ses propres pensées et l'information sensorielle venue du monde extérieur. L'appareil neuronal ne peut pas être considéré comme le simple substrat physiologique de la pensée qui est à la fois l'expression de l'être - conscience de soi - et du vécu - conscience du monde qui l'entoure. " Le cerveau en sait plus que ne le révèle l'esprit conscient. " L'individu, en prise par la perception avec ce qui l'entoure, interagit activement avec l'environnement pour construire sa propre représentation du réel, qui en retour va contribuer à bâtir sa personnalité -plasticité d'expérience.

Face à l'univers vivant, on retrouve cette constante de la conception du système qui est, qu'à partir d'un nombre restreint de mécanismes biologiques, on débouche sur une infinité d'individualités. Certains mécanismes ne sont pas le propre de l'homme (coagulation, contraction musculaire, transmission nerveuse…), les plus élaborés du point de vue neuropsychique (pensée, conceptualisation, conscience d'ordre supérieur) lui sont spécifiques. Les milliards d'hommes, peuplant ou ayant peuplé la planète procèdent tous du même codage génétique, possèdent tous les mêmes mécanismes biologiques communs, mais aucun d'eux n'est totalement similaire à l'autre. Le patrimoine et l'évolution génétique diffèrent d'un individu à l'autre. Les mécanismes de transmission du code génétique par les codons et les anti codons, reposant sur la combinaison de 3 bases puriques, apparaît comme d'une extrême simplicité face à la diversité des espèces et des individus. Au niveau de l'individu, tout part d'une cellule indifférenciée qui porte cependant en elle toute l'information nécessaire à sa différentiation en milliards de cellules aux fonctions complexes et spécifiques. Cette merveille de technologie se reproduit à chaque instant pour les milliards d'êtres qui viennent peupler la planète, sorte de " Big-Bang " biologique à l'origine de chaque individu.

La connaissance que nous avons du génome humain, le décryptage des mécanismes génétiques de base, comme le fonctionnement neural, contrastent par leur relative simplicité avec la complexité des opérations qu'ils permettent. Aussi sensationnels que soient les progrès dans ces domaines de la génomique et des neurosciences, il nous manque encore une clef essentielle pour comprendre comment, à partir de mécanismes relativement univoques, une telle diversité des êtres peut être produite. Beaucoup de ces mécanismes supposés sont probablement frappés d'un anthropomorphisme, nécessaire à les rendre abordables et compréhensibles par l'intelligence humaine. Mêmes confirmés par l'expérimentation, les concepts restent encore très éloignés de la réalité. Le cerveau n'est pas un ordinateur. Il n'a pas été programmé une fois pour toute, afin d'effectuer de tâches spécifiques. Il évolue en permanence. Au départ, il y a un potentiel d'évolution déterminé par la génétique. Certains sont plus intelligents, ont davantage de mémoire, en particulier de mémoire visuelle. Néanmoins, l'intelligence de chaque individu va se développer, notamment en fonction de son éducation. La caractéristique la plus élaborée de l'intelligence est une capacité d'adaptation. Il y a sans doute également une évolution au niveau de l'espèce. Si l'on considère l'informatique, on a le sentiment que les jeunes générations, nées avec l'ordinateur, ont une aptitude quasiment innée à en saisir l'utilisation, là où les plus âgés peinent à comprendre. Récemment, le Dalaï-lama a expliqué face aux milliers de spécialistes des neurosciences réunis en congrès à Washington comment le cerveau peut être entraîné et modifié physiquement par la pratique de la méditation bouddhique.
La conscience apparaissant à un moment de l'évolution conduit Gérald Edelman à évoquer une évolution darwinienne de l'intelligence humaine. Elle serait le résultat du développement d'interactions réentrantes dynamiques dans le système thalamo-cortical. Ce sont en effet au niveau des ganglions de la base du cerveau et de l'hippocampe que sont impliqués les mécanismes de la mémoire, en raison de la densité des boucles polysynaptiques avec le cortex dans cette zone.

D'autre part, la particulière richesse de ces zones en certains types de récepteurs et de ligands impliqués dans les processus de mémorisation a également été démontrée. Tous les mécanismes d'activation neuronale au niveau des connexions synaptiques que nous avons détaillé pour la transmission du message douloureux sont également présents au niveau des multiples interconnexions nécessaires pour créer un concept primaire, pour le mémoriser et pour les articuler au niveau des états conscients.
Tous ces phénomènes biochimiques séquentiels ne prennent que quelques centièmes de seconde, suffisamment pour qu'il existe un décalage entre le phénomène extérieur perçu et l'activation des interconnexions thalamo corticales amenant la perception à la conscience. C'est ce vécu en léger différé, déjà souligné par Calinon dans une lettre à Poincaré, le 15 août 1886, qui fait qualifier le présent de " présent spécieux " par William James ou de " présent remémoré " par Gérald Edelman.

Ces mécanismes intégrateurs peuvent d'ailleurs s'activer sans qu'il y ait véritablement " prise de conscience " du processus. C'est le cas du pianiste qui a mémorisé parfaitement la séquence des notes et acquis les automatismes lui permettant de se concentrer sur l'expression de l'émotion qu'il souhaite faire partager.  Ainsi en est-il de certains phases de conduite automobile où les panneaux de signalisation sont vus et intégrés, les gestes appropriés effectués, sans que le conducteur ait conscience de l'attention qu'il porte à la conduite, qui se fait quasiment en pilotage automatique. Cette intégration de l'information fait intervenir  non seulement les neurones mais il apparaît de plus en plus clairement que les cellules gliales, en particulier les astrocytes, jouent un rôle déterminant. Ces cellules que l'on considérait comme des structures de soutien des cellules " nobles ", les neurones, joueraient un rôle majeur dans la communication, en apportant aux neurones leurs nutriments essentiels, le glucose, mais aussi en modulant l'action des neurotransmetteurs, en particulier le glutamate, au niveau de leurs récepteurs et en régulant les flux calciques inter et intra cellulaires. Les astrocytes ont donc la capacité de faciliter ou d'inhiber la transmission des influx au niveau des synapses, mais également de transmettre des informations captées au niveau d'une synapse à une autre synapse. Ces informations transmises par les astrocytes circulent beaucoup plus lentement que les influx neuronaux mais ils pourraient constituer une seconde voie de communication cérébrale ou pour le moins un réseau capable de coordonner l'activité cérébrale.  La densité des astrocytes serait en relation avec le développement de l'intelligence, que ce soit chez l'homme par rapport aux autres espèces animales, ou parmi les hommes, si l'on compare leur densité dans le cerveau d'Einstein par rapport à la moyenne. Les astrocytes seraient en effet capables de créer de nouveaux neurones et de nouvelles synapses comme le démontrent de très intéressantes expériences de psychologie animale, l'exposition à une activité ludique faisant appel à l'intelligence de l'animal, développant la zone de contact entre astrocytes et synapses. Les astrocytes, en libérant des substances encore non identifiées, provoqueraient la transformation de cellules souches en neurones, jouant un rôle d'organisation de l'architecture du cerveau et permettant une plasticité cérébrale jusqu'à un âge avancé de la vie. Les astrocytes permettraient d'agir sur les maladies dégénératives, en particulier la maladie d'Alzheimer  ou le Parkinson, en retardant, voire en reversant certains processus dégénératifs à l'origine de ces affections. Beaucoup de questions restent en suspens encore à l'heure actuelle : sous quelle influence un astrocyte peut-il engendrer une lignée neuronale ? Comment la spécificité est-elle induite et préservée ? Comment la migration est-elle guidée ? Comment l'intégration dans les réseaux est-elle assurée ? Quels sont les facteurs de croissance impliqués dans cette reproduction de lignées neuronales ? Il faudra pouvoir répondre à toutes ces questions avant qu'une utilisation de cellules souches neuronales puisse être envisagée en thérapeutique.

La théorie de la sélection des groupes de neurones (T.S.G.N.) que Gérald Edelman expose dans son livre " Plus vaste que le ciel " repose sur trois postulats qui sont : " la sélection développementale ", " la sélection expérimentale " et les " réentrées " des connexions neuronales, assurant " la corrélation spatio-temporelle et l'intégration consciente ". " Plus vaste que le ciel " met en parallèle les milliards de corps célestes de l'Univers et les milliards de connexions dont est capable un cerveau humain. L'exploration n'en est pas plus guère avancée mais nous avons actuellement, avec les progrès des neurosciences, suffisamment de données pour savoir dans quelles voies orienter les recherches et être assurés que les fondements scientifiques de nos connaissances ont reçus un commencement de preuves expérimentales.

Au regard du nombre de lois restreintes qui semblent régir l'extrême diversité de l'Univers, on retrouve, au niveau de la biologie, un nombre limité de mécanismes, sans commune mesure avec l'infinie variété des processus qu'ils sous tendent. Nous sommes là encore dans la perspective : lettres, mots, phrases, pensée.
L'application aux neurones de la théorie darwinienne de l'évolution proposée par Gérald Edelman permet, malgré l'existence d'un arbre phylogénétique aux branches multiples, de comprendre comment l'évolution animale a conduit au développement de la conscience, culminant avec l'homme, lui assurant sa suprématie sur son environnement. Les principes fondamentaux du darwinisme neuronal sont constitués par l'agencement anatomique du cerveau, commandé par la génétique, mais réalisé par la connectivité des synapses qui va évoluer chez chaque individu en fonction de son activité mentale, produisant un répertoire immense et varié de connexions neuronales. Tout au long de sa vie, un processus de sélection synaptiques , résultant de l'expérience comportementale, va se produire au sein des populations de neurones. Une sélection de groupes neuronaux permet l'apparition de phénomènes de réentrée qui peuvent constituer des circuits assurant la reproduction consciente ou inconsciente de comportements affectifs ou moteurs. Il n'y a pas de différence significative de la taille et du poids du cerveau entre un génie et un être frustre. Il n'y a pas de différence de nature entre intelligence animale et intelligence humaine mais une différence de niveau de fonctionnalité  grâce à l'apparition de nouveaux réseaux de connexions anatomiques. Comme l'écrivent Edelman et Tononi dans  Comment la matière devient conscience : "  La conscience primaire est apparue au cours de l'évolution lorsque, par le biais de l'émergence de nouveaux circuits introduisant un processus de réentrée, les aires cérébrales postérieures impliquées dans la catégorisation perceptive ont été reliée de façon dynamique aux aires antérieures responsables de la mémoire. " Il faut donc rechercher ailleurs que dans le volume et la masse des cellules cérébrales l'explication de l'évolution de l'intelligence humaine. Le développement des possibilités d'interconnexions neuronales thalamo corticales facilite conceptualisation, mémorisation et confrontation des concepts au niveau central, créant la pensée, comme la confrontation des perceptions, au niveau périphérique, crée la sensation.

L'étude du lien entre la conscience et les structures cérébrales, telle que l'entreprends Damasio, par l'analyse des conséquences pathologiques des lésions cérébrales est un des moyens essentiels pour localiser anatomiquement les structures impliquées dans la conscience. Neuropathologie, neuroanatomie, neurophysiologie et neuropsychologie permettent de valider, au moins partiellement les hypothèses avancées. Ainsi, le coma végétatif se caractérise par une lésion du tronc cérébral et de noyaux de la formation réticulaire et du système limbique, tandis que le syndrome de locked-in, où la conscience reste préservée mais la communication limitée à des battements de paupières, correspond à une lésion de la seule région postérieure du tronc cérébral. L'ensemble de ces méthodes basées sur l'observation de destructions pathologiques, des expérimentations de section ou de stimulation, l'activation de zones observables en imagerie cérébrale (TEP,IRM…)est d'un grand intérêt mais me semble laisser de coté un mécanisme de la conscience qui me parait essentiel qui est le contrôle inhibiteur de la transmission d'influx. Les mécanismes de modulation et d'inhibition jouent un rôle sans doute plus important que les transmissions d'influx. La tendance naturelle est de voir dans une activité le résultat d'une stimulation alors que beaucoup de mécanismes correspondent à une levée d'inhibition. La douleur, en particulier avec la théorie du portillon, l'action de la morphine, avec la théorie de Le Bars du rétablissement du " bruit de fond " médullaire en sont une illustration. Ces notions rendent compte des échecs des techniques d'interruption neurochirurgicales, et à l'inverse l'efficacité du rétablissement d'afférentations sensitives par la neurostimulation transcutanée (TENS). Il est envisageable que l'abondance des perceptions, des sensations, des images acquises ou remémorées en permanence constitue un flux permanent d'informations qu'il faut réguler en filtrant et laissant remonter vers les structures corticales les informations pertinentes et en bloquant la multitude des autres. Il y aurait un processus de canalisation sélective, autorisant certaines entrées, en refusant d'autres. Ce processus pourrait consister en un flux modulateur de projections descendantes partant de l'espace de travail vers les processus spécialisés pour arrêter ou au contraire amplifier les flux ascendants provenant de ces mêmes processus. La similitude avec les contrôles inhibiteurs descendants de la douleur, seconde barrière de la théorie du portillon, est frappante. Lorsque je concentre mon attention sur ce que j'écris, tous les bruits, toutes les perceptions visuelles qui me parviennent, toutes les images stockées  dans ma mémoire sont tenues à l'écart par un filtre permanent qui à certains moments permet le passage au niveau supérieur d'informations sélectionnées. Ainsi ne parviendraient au niveau de la conscience qu'un certain nombre d'informations sélectionnées lorsque je réalise une tâche nécessitant mon attention. Ce que Damasio résume en écrivant : " Au cours des phases conscientes, la formation réticulaire produit un barrage continu de signaux à destination du thalamus et du cortex cérébral, suscitant la mise en place de certains schémas géométriques de cohérence corticale. " Le Gyrus cingulaire joue un rôle de boite de dérivation entre l'arrivée de nombreux signaux sensoriels, redirigés vers le thalamus qui va en réaliser l'intégration. Aucun site n'est potentiellement le seul fondement de la conscience, et surtout, c'est grâce aux influx modulateurs que les configurations neuronales associées à l'objet de la conscience peuvent être renforcées et les différents composants de l'objet (forme, couleur, mouvement….) intégrés en un tout. L'image que nous percevons est le résultat des modifications de l'ensemble de l'organisme, y compris au niveau du cerveau, qui se produisent quand la structure physique de l'objet interagit avec le corps. Les images, synonymes de configurations mentales, bâties à partir d'éléments sensoriels (visuels, auditifs, olfactifs gustatifs…) et somatosensoriels  (toucher, douleurs, sensations viscérales, température…) constituent un flux permanent, en raison d'une production permanente, aussi bien au cours des rêves qu'à l'état d'éveil. Les images peuvent être conscientes ou inconscientes. Toutes les images produites par le cerveau n'accèdent pas à la conscience. Elles sont trop nombreuses pour franchir le filtre et accéder à la fenêtre relativement étroite qui donne sur la conscience.

L'espace " imagé ", correspondant à la conscience - noyau, constitué des images sensorielles et des contenus mentaux, repose sur une assise neuronale différente de celle de la mémoire " dispositionnelle "  qui archive des savoirs implicites et où s'effectue le traitement d'images. Leur accumulation va constituer la mémoire autobiographique, à la base de la notion d'identité, de personnalité et de " soi ". Certains traits de caractère sont transmis génétiquement et d'autres se forment lors des premiers contacts avec l'environnement. Pour Damasio " L'existence d'une mémoire autobiographique permet aux organismes d'apporter des réponses émotionnelles aussi bien qu'intellectuelles généralement cohérentes à toutes sortes de situations simples ou complexes, bénignes ou dangereuses, de la simple préférence à l'affirmation des principes éthiques fondamentaux. " La conscience étendue conduit à la conscience morale.

Cette évolution et cette adaptation des structures neurales semblent plausibles mais, dans l'état actuel de nos connaissances, ne rendent pas compte du comment et du pourquoi Le processus qui conduit d'une configuration neuronale à une image reste un mystère que la neurobiologie n'a pas encore résolu. " L'étendue de notre ignorance est décidément troublante. " Pour tenter une explication, Gérald Edelman fait appel à de nombreuses métaphores empruntées au langage informatique comme l'" encartage ", la " circuiterie " ou les " réseaux intégrés " alors même qu'il réfute, à juste titre, une conception du cerveau qui serait basée sur le modèle informatique. La complexité des mécanismes, échappant encore à l'analyse scientifique, ne doit pas pour autant conduire au dualisme et séparer en deux entités distinctes la configuration neuronale d'une pensée immatérielle. Parvenu à ces frontières de nos connaissances, il vaut mieux avouer son ignorance et s'en tenir aux données démontrées de la science plutôt que de sombrer dans la pataphysique. Face à  l'  intelligent design  des fondamentalistes américains, il vaut mieux s'en tenir à des questions intelligentes qu'aboutir à des réponses sans preuves. La publication par Darwin de " De l'origine des espèces par voie de sélection naturelle "  a constitué une révolution essentielle dans la compréhension de l'évolution mais elle remonte à 1859 et depuis lors bien des découvertes ont changé le paysage scientifique. L'évolution des espèces sous l'influence de facteurs extérieurs, géographiques, climatiques ou autres ne constitue probablement qu'une partie très restreinte de l'explication. Comme toutes les explications scientifiques, la théorie de Darwin doit être revue à la lumière des nouvelles connaissances scientifiques, en particulier dans le domaine de la génétique. Toute la partie de l'évolution des structures cérébrales, à l'intérieur d'une même espèce, l'homme, ne pouvait pas être comprise par Darwin parce qu'il n'en avait pas la moindre idée, pas plus que Galilée ne pouvait tenir compte de la relativité. Que la théorie de Darwin ne permette pas d'expliquer tous les aspects de l'évolution, que les découvertes scientifiques modernes obligent à pousser le raisonnement un peu plus loin ne saurait constituer des arguments pour en revenir à l'explication biblique et au créationnisme. Le problème est posé par Christian de Duve : "  Qu'il ait été créé par un concepteur, par hasard ou via une évolution, qu'il soit unique ou seul parmi une multitude, notre univers a bel et bien donné naissance à la vie et, à travers un long parcours évolutionniste, à une forme vivante dotée de l'aptitude à appréhender, via la science, mais également d'autres approches telles que la littérature, l'art, la musique, la philosophie ou la religion, quelques aperçus de la " réalité supérieure " qui se cache derrière les apparences accessibles à nos sens. Ce fait est pour moi magistralement important. " . Cet accès de l'homme a la connaissance est dans la tradition biblique et mythologique présenté comme un vol qui doit être puni. C'est le mythe de Prométhée qui a dérobé le feu aux Dieux, c'est le récit de la Genèse où Eve s'empare de la pomme, symbole de la connaissance du bien et du mal. Un aigle dévorera le foie de Prométhée, Adam et Eve seront chassés du jardin d'Eden. La connaissance est parfois difficile à porter, comme celle du médecin connaissant sa maladie, mais elle est noble. Comme le dit Albert Camus à propos de Sisyphe : " il faut croire Prométhée heureux. "  Antonio Damasio écrit : " La conscience est la seule source du drame de la condition humaine….elle donne les moyens de créer une vie meilleure mais le prix est élevé : il y a le risque, le danger, la souffrance mais aussi la connaissance du risque, du danger, de la souffrance et, pire encore, la connaissance de l'absence ou du caractère inatteignable du plaisir, une fois que l'on sait ce qu'est le plaisir. " C'est un échange contre l'innocence où nous étions de cette existence. Prendre conscience du caractère illimité de l'imagination est un magnifique espoir. Gerald Edelman conclut dans son épilogue de la " Biologie de la conscience " : " Quelque soient les développements de la science, la vie consciente qu'elle décrira sera toujours plus riche que la description elle-même…..Une théorie biologique de la conscience ne peut fournir qu'une condition nécessaire à la pensée et non une condition suffisante….Les données des neurosciences ne permettront jamais à elles seules d'expliquer ce qu'est la pensée. ".
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