Andreï Roublev


J'aime les icônes anciennes pour la simplicité de leurs formes, le chatoiement de leurs couleurs et de leurs ors patinés par des siècles de fumées de cierges.

J'ai revu à plusieurs reprises les icônes de la crypte située sous la basilique Alexandre Nevski de Sofia. Elles sont sans doute parmi les plus belles avec celles d'Andreï Roublev de la Galerie Tretiakov, de la cathédrale de l'Annonciation et des basiliques du Kremlin à Moscou, mais toute la Russie abonde de ces icônes que ce soit dans les musées, les iconostases des églises et des monastères. La plupart des icônes font partie de ces chefs d'œuvre anonymes au même titre que les tankas tibétains ou les miniatures persanes ou des livres d'heures du Moyen Age. On est confondu de voir combien les acheteurs des salles des ventes sont prêts à mettre d'argent pour une signature lorsque tant de chefs d'œuvre resteront anonymes. Le moindre morceau de serviette de papier griffonné par Picasso sur un coin de table de restaurant s'arrache à des prix délirants quand des merveilles de fraîcheur, de poésie, qui ont demandé des mois de travail, se vendent dans les boutiques de Katmandou à des prix qui sont une injure à la qualité du travail.
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Saint Georges terrassant le dragon. Ecole de Novgorod.

La visite des icônes anciennes du musée Russe de Saint Pétersbourg, bien que magnifiques, m'a un peu déçue, sans doute parce que l'ambiance aseptisée d'un musée se prête peu à leur mise en valeur comme peut l'être l'iconostase d'une église ou d'un monastère. L'icône a besoin de s'imprégner de la spiritualité d'un lieu pour exhaler sa beauté. Un musée est le dernier endroit où l'on devrait les exposer. Certaines, comme le Saint  Georges terrassant le dragon, sont magnifiques d'élégance et de dépouillement, sans être dénuée d'originalité avec la composition débordant sur le cadre de l'icône. 

Les personnages représentés, que ce soit le Christ ou les saints, regardent de face, fixement, et leur regard se plante dans celui qui les regarde. La filiation avec Byzance est évidente, à la fois par la profusion et la richesse des couleurs et des ors, mais aussi par le cheminement de monastère en monastère à travers la Bulgarie, la Roumanie, la Moldavie. Il est quasiment miraculeux que ces merveilles, qui datent pour la plupart du XIVe au XVIIIe siècle, aient résisté aux hordes mongoles, aux ottomans et au communisme.

Certes, les plus belles icônes sont, à mon goût, celles d'Andreï Roublev qui idéalise et transfigure les personnages qu'il représente, mais combien de modestes églises de campagne, de monastères recèlent de superbes icônes souvent méconnues car en dehors des habituels circuits touristiques. De ces icônes il faut rapprocher les merveilleuses fresques des églises, en particulier de Bucovine, avec leurs teintes demeurées d'une grande fraîcheur, comme le célèbre bleu de Voronej, en Roumanie, les monastères de Rila ou de Veliko Turnovo, en Bulgarie.

Parmi les icônes d'Andreï Roublev, la plus connue est, à juste titre, l'Icône de la Trinité de la Galerie Tretiakov à Moscou. Cette superbe composition d'une simplicité déconcertante dégage une impression de paix sereine, de " mouvement immobile ". Les visages d'une grande finesse, la silhouette élancée des trois personnages, l'harmonie et la richesse somptueuse des couleurs se fondent sur l'or vieilli des ailes des trois anges représentant la Trinité. 
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Icône de la Trinité. Andreï Roublev. Galerie Tretiakov. Moscou. 1410.

La composition remarquable en cercle autour de la coupe confère à l'ensemble une légèreté immatérielle. L'exégèse de la symbolique des couleurs, des attitudes, de la maison, du chêne, du rocher permettant l'identification des trois personnes de la Trinité, n'entre pas en ligne de compte dans le sentiment de beauté, de tendresse et de paix que l'on éprouve à la vue de l'icône. Tous les ingrédients de simplicité de la composition, de richesse des couleurs, de somptuosité de la lumière sont réunis pour en faire un chef d'œuvre mais plus encore peut être l'atmosphère qui en émane lui confère la beauté absolue. L'original de la galerie Tretiakov a été copié à de nombreux exemplaires, notamment pour remplacer l'icône de Roublev qui se trouvait dans l'iconostase de la cathédrale de la Trinité Saint Serge. Cette copie ancienne et de qualité est cependant obscurcie par l'exposition permanente aux fumées de cierges et n'a rien de l'harmonie de couleurs claires de l'original. Les transparences du vêtement suggèrent une forme de transfiguration qui fait le caractère exceptionnel de cette icône. Au milieu de merveilleuses autres icônes, elle captive le regard, attire comme un aimant. La pureté des couleurs, l'extrême simplicité de la composition, la lumière qui s'en dégage en font à la fois un chef d'œuvre de classicisme et de modernité. En fait, c'est une œuvre intemporelle et immatérielle qui par sa beauté communique directement avec le surnaturel, au sens où les couleurs et les formes, aussi belles soient elles, ne font que sublimer la pensée. Il n'est pas nécessaire d'adhérer au sentiment religieux que Roublev voulait exprimer pour ressentir l'existence surréelle de sa beauté.

Cette simplicité de la composition se retrouve dans l'Annonciation soulignée par les arcades de l'arrière plan accentuant la parenté de cette icône avec le tableau de l'Annonciation de Fra Angelico du Couvent de San Marco à Florence. Cette même rigueur de la composition transparaît de la Nativité de la Cathédrale de l'Annonciation de Moscou. La Transfiguration du Christ semble peinte de couleurs qui ne sont pas de ce monde.

Le temps a posé sa marque sur ces fragiles peintures y ajoutant le tragique de l'âge sans en altérer la beauté.
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L'Annonciation. Andreï Roublev. Cathédrale de l'Annonciation. Zvenigorod. 1405.
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