| Bacchus 1593-1594 de la Galerie des Offices. Florence. |
|
Et la lumière fut. Une lumière aveuglante qui assombrit plus qu'elle n'éclaire. Le Caravage fut non seulement un personnage hors du commun, aux mœurs dissolues, mais un éclaireur de la peinture qu'il révolutionna à l'aube du XVIIe siècle. Sa vie est un roman et sa fin tragique et mystérieuse à Porto Ercole évoque celle de Pasolini sur une plage d'Ostie. Malgré son goût d'homme des tavernes pour les prostituées, les tableaux de jeunes éphèbes de ses débuts laissent penser qu'il n'y était pas indifférent. Le modelé des corps, l'ambigüité des regards, l'attitude alanguie des corps, le délié des mains, notamment du Bacchus de la Galerie des Offices, traduisent les penchants de cette époque de sa vie. |
|
| Le portrait du Joueur de luth m'évoque, en dehors de son émouvant aspect androgyne, La jeune fille à la perle de Vermeer, par l'éclat de sa beauté, la simplicité de son apparence et le questionnement de son visage. |
| | Le joueur de luth. 1595. Musée de l'Ermitage, Saint-Petersbourg. |
| | Détail. Le joueur de luth. |
|
| | Les tricheurs. 1594-1595. Kimbell Art Museum, Fort Worth. |
| Dès cette période, il se révèle comme un magicien de la lumière qui n'a pas encore les aspects de clair-obscur qui feront son style mais se manifeste dans le chatoiement des étoffes, évoquant Vermeer comme dans Les Tricheurs. Ces tableaux d'une grande virtuosité manifestent une joie de vivre et une soif de plaisir. Les thèmes profanes exaltent la jouissance de la chair, du vin et des fruits. Il y a une tendresse dans une attitude très moderne de la Vierge du Repos pendant la fuite en Egypte qui fera place ensuite à une violence de plus en plus exacerbée. Malgré la présence de somptueuses natures mortes associées à la douceur des visages ces peintures n'ont rien de mièvre. Ses contemporains ne s'y tromperont pas qui lui feront une renommée fulgurante, l'autorisant à demander des prix exorbitants lui permettant de dilapider l'argent sans compter. |
|
| Sa vie va sombrer dans la violence et le reste de sa vie sera celle d'un proscrit, fuyant la justice pontificale à la suite de la mort d'un homme qu'il avait provoquée au cours d'une rixe.. Sa peinture va refléter sa vie. Aux thèmes profanes vont succéder les thèmes religieux, aux jeunes gens insouciants les saints et les martyrs, à la lumière éblouissante les clair-obscur et à la joie de vivre les souffrances et la mort. En dehors de riches mécènes, les commandes viennent de l'Eglise, mais malgré des thèmes imposés, son existence sulfureuse, ses scènes provocatrices ou scandaleuses, feront refuser un certain nombre de tableaux, suscitant autant de détracteurs que d'admirateurs. Même les scènes religieuses sont le prétexte d'histoires sensuelles et sanglantes. Dans le tableau Les sept œuvres de la Miséricorde de l'Eglise Pio Monte della Misericordia de Naples, la femme offrant son sein à un vieillard a probablement une signification psychanalytique plus forte que l'illustration de la compassion. Si son génie, auquel vient s'ajouter un effet de mode, est aujourd'hui unanimement reconnu, on conçoit qu'à son époque le caractère révolutionnaire de sa peinture suscita des passions contraires.
Sur le seul plan esthétique, Le Caravage fera de nombreuses émules, sans parler de ceux qui après lui réinventeront, avec leur génie propre, la lumière des clair-obscur, comme Rembrandt et Georges La Tour. L'adjectif " caravagesque " a été inventé pour caractériser ces effets de lumière de suiveurs dont aucun ne parviendra à restituer la magie du Caravage. C'est probablement parmi les impressionnistes, comme Monet, qu'il faut rechercher d'autres magiciens de la lumière apprivoisée. Outre l'évolution de la violence des scènes et des personnages, la transformation de la lumière, c'est la manière de peindre qui a changé. D'un dessin minutieux, d'un trait de pinceau léché, l'expression picturale s'est dépouillée, comme on le constate dans la Mort de Sainte Ursule tuée par le roi des Huns : le trait devient plus furtif, les coups de pinceaux se sont élargis, ce qu'ils ont perdu en finesse, ils l'ont gagné en force. La réduction des moyens a accru la puissance de l'expression qui a gagné en maturité. C'est un autre point de similitude avec Rembrandt.
|
| Les personnages de ses tableaux, dont les thèmes sont repris à quelques années d'écart, ont vieilli avec lui. Le Saint Jean Baptiste qui dans le tableau peint à Rome dans les années 1597-1598 apparaît comme un éphèbe, devient un adulte triste, au regard absent, dans le Saint Jean Baptiste au désert de 1604. Le David de 1606 représenté dans une pose de héro victorieux, devient dans le David tenant la tête de Goliath de 1609 un homme triste et détaché, empreint de compassion. |
| | David tenant la tête de Goliath. 1609-1610. Galerie Borghèse, Rome. |
| | Détail. David tenant la tête de Goliath. |
|
| Même dans les tableaux religieux, la violence est présente aussi bien dans les scènes représentées que dans les visages des personnages burinés par l'existence. On est loin des figures angéliques des tableaux de la Renaissance italienne mais très proche du réalisme de la peinture Flamande d'un Rembrandt ou d'un Franz Hals. Son réalisme lui sera reproché ainsi que la vulgarité ou l'érotisme de ses modèles : marginaux, prostituées, courtisanes à une époque où la contre réforme triomphe.
Après avoir tué en duel Ranuccio Tomassoni, le chef de la milice de son quartier, le 28 mai 1606, il est condamné à mort. Il s'enfuit de Rome et il doit se cacher pour vivre et pour peindre, jusque dans les catacombes qui apparaitront en toile de fond dans La Mise au tombeau de Sainte Lucie. Sa peinture est le reflet de son errance, même si son talent lui assure de nouvelles protections à Naples, à Malte, en Sicile. Son talent est à son apogée. Ses compositions sont de plus en plus structurées, les formes apurées, mais la lumière s'assombrit peu à peu, se réfugiant dans des visages marqués par l'existence, empreints de tristesse et de détachement. Sa mort devient omniprésente. Son autoportrait sous la forme du Goliath décapité de 1609, possède une énorme charge émotionnelle en particulier lorsque l'image se focalise sur le seul visage. Qu'il s'agisse de Saint Jean Baptiste, d'Holopherne ou de Goliath, la décapitation semble être une obsession dont la clef est fournie dans le dernier tableau ou cette tête coupée est celle du Caravage.
|
| | |
|