Le Futur, cet inconnu.


Un ermitage sur les hauteurs de Cordoue. Dans une niche, un crâne regarde le visiteur de ses orbites excavées. Une plaque. " Tel que je te voie, j'ai été. Tel que tu me voies, tu seras ". A l'autre bout de l'Europe, Hamlet contemplant le crâne qu'il tient dans la main lui répond : " To be or not to be, that is the question " J'ai été, tu seras, être ou ne pas être. Crâne dont la minéralité survit à la chair. Vanité des vanités ou bien " Mort où est ta victoire ? " Avant d'en venir au crâne, une vie d'homme. A subir ? A bâtir ? Le déterminisme, vieux débat. Notre " à venir "  est-il inscrit quelque part, dans un grand livre, dans nos gênes ? Prédestination. On n'échappe pas à son destin. Dans ce cas à quoi bon ? Sinon, liberté, libre arbitre ? Le destin entre ses mains. On n'en est plus aux grandes querelles théologiques mais les bûchers ne sont pas tous malheureusement éteints. La part de vérité : nous portons dans nos gênes les séquences d'acides nucléiques pouvant correspondre, ou prédisposant, à la survenue de telle ou telle maladie. Ceci est scientifiquement prouvé et la carte du génome humain est maintenant connue. En revanche, le gêne du crime relève actuellement de l'affabulation. Il y a de toute manière dans la disposition de nos gênes une telle part d'aléatoire, que tout être est unique, et que rien n'est inéluctable. Même les jumeaux homozygotes, malgré des coïncidences troublantes, vont chacun vivre leur vie. Il en serait sans doute de même des clones. 
Détail de l'horloge de la cathédrale de Strasbourg.
Toutes les tares génétiques ne sont pas dominantes. Les exemples ne manquent pas de génies nés de parents tarés ou débiles. Certes à la grande loterie des gênes, tout le monde ne gagne pas le gros lot, mais ce n'est pas dans le sperme des prix Nobel que l'on trouve la semence des futurs prix Nobel. Il y a plus de chances que l'enfant d'un couple d'intellectuels soit lui-même un intellectuel, mais rien n'empêche qu'il ne le soit pas. Il est d'ailleurs difficile de faire la part de ce qui revient à l'hérédité et de l'éducation reçue au sein de la famille.

Exit la prédestination. Même cahin-caha, la longue marche de l'humanité se fait vers  la liberté. L'oppression des individus (l'esclavage, l'exploitation…), des groupes (le racisme, le sexisme…) et des peuples n'a pas disparu, mais les tribunaux internationaux apparaissent pour juger les tyrans et les oppresseurs. On est encore bien loin de la paix et de l'ordre universel et certaines interventions faites au nom de la morale des peuples ont des relents de pétrole. Certains évènements récents autrefois inconcevables, sont porteurs d'espoir. L'homme a suffisamment fait désespérer de l'homme.
Voyance et boule de cristal
Au nombre des rêves  insensés de l'homme figure la connaissance du futur. De tous temps devins et cartomanciennes ont prospéré. Qu'on lise dans les entrailles, comme les auspices, ou dans le marc de café, comme les voyantes, tout est bon pour connaître l'avenir. Le catalogue des moyens de divination est largement fourni et il  serait vain de vouloir énumérer tous les instruments inventés pour connaître le futur.
A tant faire, autant que les nouvelles soient bonnes et gare aux Cassandres. L'Oracle est protégé par le caractère divin, tandis que plus d'un devin, porteur de funestes présages s'est retrouvé avec la tête coupée. Devin, divin, divinatoire. Dieu, maître du temps, connaît le futur.

Sorti du charlatanisme, l'homme s'essaye à prévoir le futur sur des bases rationnelles ou scientifiques avec une précision croissante, mais à échéance encore très limitée. La météorologie qui a fait des progrès considérables, notamment avec l'observation à partir de satellites, peut avec des coefficients d'exactitude rapidement décroissants, faire des prévisions exactes à un, deux, trois, quatre ou cinq jours. Au-delà l'aléa devient trop important pour fournir des données crédibles. La prospective dans le domaine économique manque encore beaucoup de fiabilité. Que faut-il pour que des précisions soient exactes ? Un nombre élevé de données pertinentes, des modèles éprouvés. L'ennemi de la prévision est l'irrationnel. Les fluctuations de la Bourse en sont l'illustration parfaite. Les données de l'économie sont répertoriées, leurs influences et leurs interférences sont connues et pourtant les variations des cours sont souvent imprévues, voire paradoxales. La futurologie n'est pas une science exacte. Les réflexions, telles que celles du Club de Rome, sont intéressantes mais les équations posées sont à de nombreuses inconnues. Les variations sont multi paramétriques, les interventions possibles sont multimodales et le résultat final, parfaitement imprévisible. Doit-on ajouter " dans l'état actuel de nos connaissances ? " On peut toujours annoncer, du moins à terme " prévisible ".

Quelle emprise peut-on, en tant qu'individu, avoir sur le futur ? Quel est le rôle de la volonté, quelle est la marge de notre liberté ? La notion de temps, ou plus exactement de durée, est un évènement conscient. Les idées de conscience et de temps " vécu " sont intimement liées. La notion du passé est conceptuelle et implique donc la conscience d'ordre supérieur. Elle est liée à des agencements antérieurs de catégories par rapport au présent immédiat qui lui fait intervenir la conscience primaire. Contrairement à la conscience primaire, la conscience d'ordre supérieur ne se fonde pas sur l'expérience en cours, mais sur la capacité à modéliser le passé et le futur.

La volonté est indissociable de la personne, et de la liberté  sans laquelle elle ne peut s'exprimer. Elle implique en corollaire la responsabilité de ses actes. La contrainte peut venir de l'individu lui-même - refoulement - ou de la société - interdits sociaux, tabous… Enfreindre des interdits moraux, sociaux est-ce véritablement se libérer ou s'assujettir à d'autres règles du jeu, pas toujours  moins contraignantes ? La bande de " jeunes " qui défie les lois de la société et qui fait de sa cité HLM une zone de non droit, n'a généralement rien de plus pressé que d'imposer des conventions d'habillement, de langage et de comportement de type tribal. Le " no future " peut être la constatation amère d'un avenir bouché par la pauvreté, le chômage, la délinquance, une expression de désespoir plus qu'un véritable refus de l'avenir. C'est aussi une expression de liberté en refusant de se laisser conditionner par une société que l'on rejette. La référence n'est pas au temps à venir mais aux valeurs sur lesquelles une société bâtît l'avenir. Dans ces conditions, la vie ne mérite pas d'être vécue. Autant mourir, c'est la seule façon d'y échapper. Même si, par définition, il n'existe pas encore, le futur à une lourde charge existentielle car il représente l'objectif à atteindre, la réalisation des désirs, l'accomplissement de l'être.

La mort est l'avenir de l'Homme. Pour l'humoriste, la vie se définit comme une " maladie sexuellement transmissible (M.S.T.) constamment mortelle ".La mort signifie la perte irrémédiable d'un individu et de son être. La mort n'est pas une expérience car il n'y a alors plus rien à signaler. Les esprits désincarnés n'existent pas. Il n'y a pas de fantômes à vendre.

Regarder inconsciemment sa montre est une manière de se rassurer que l'on est en vie, comme le réflexe de celui qui vient d'échapper  la mort. Mais regarder l'heure c'est aussi constater que l'on se rapproche de la mort, comme il est inscrit au cadran de l'église d'Urrugne : " Toutes les heures blessent, la dernière tue " (Vulnerant omnes, ultima necat).
Alors parfois, la montre qui a accompagné la vie, s'arrête au moment de la mort. Temps arrêté comme à Pompéi, montres figées, comme à Hiroshima, au World Trade Center, au moment de l'accident : les choses de la vie, vie brisée, montre cassée. Coutume de ne pas remonter l'horloge d'un mort. En tant que " mécaniques continues, l'horloge ou la montre, se situent concrètement entre les objets morts et les êtres vivants : elles ont leur temps et leur non temps, elles vivent et meurent, et leur vie et leur mort expriment quelque chose de la vie et de la mort de ceux qui les ont possédées ". " En reliant le temps mort au temps de la mort, la " montre cassée "… à la manière d'un oracle se présente comme " la confirmation objective d'une prémonition ". Montre sans aiguille d'Ingmar Bergman dans les fraises sauvages, présage de mort. Et au delà de l'avenir ? Milan Kundera dit de son héroïne dans "  L'ignorance " : " L'avenir ne l'intéressait pas ; elle désirait l'éternité ; l'éternité, c'est le temps qui s'est arrêté, qui s'est immobilisé ; l'avenir rends l'éternité impossible ; elle désirait annihiler l'avenir. "
Homme figé dans
la lave de Pompéi
Page précédente : Souvenir et Oubli.

Sommaire


© 2011-2023. Tous droits réservés. Philippe Scherpereel.http://www.philippe-scherpereel.fr